Ces dernières semaines, alors que la moitié de notre planète doit vivre confinée pour limiter la propagation d’un virus invisible et dévastateur venu de Chine, des solutions audacieuses, ingénieuses et improvisées voient le jour, en utilisant des moyens simples, et ce, dans tous les pays. C’est ce qu’on appelle l’innovation Jugaad, faire plus ou mieux avec moins…

Tel se résume le concept d’innovation frugale, sujet du livre éponyme de Navi Radjou, dans lequel l’auteur franco-indien, revient sur les opportunités qui se présentent aux entreprises occidentales.

Sur la base d’un exemple très concret, à la suite d’un tremblement de terre, un potier indien a inventé un réfrigérateur en terre glaise. Résultat: les mêmes performances qu’un réfrigérateur classique, sans utiliser d’électricité et sans produire de déchets non-recyclables ! Le message est clair. C’est souvent dans de fortes contraintes que naissent les innovations de rupture !

Au cas où vous n’ayez pas le temps de lire son livre,  voici les 6 principes à retenir, et qui résonnent d’autant plus aujourd’hui :

  1. Faire de l’adversité une force, une opportunité…l’adversité peut être un facilitateur pour progresser
  2. Amener de l’agilité dans tous les domaines de l’entreprise : quelle valeur ajoutée à ce que je fais ?
  3. Faire + avec moins = faire autrement…et qu’est-ce qu’on pourrait encore enlever…Comment inventer encore de nouveaux modèles ?
  4. Travailler en visant la simplicité : faire simple= faire juste…rendre son client responsable, rendre le consomm’ acteur !
  5. Faire avec les exclus, les gens qui sont à la marge de mon système…quels sont les services à la marge dans mon entreprise?
  6. Travailler avec les personnes les plus innovantes en laissant parler le cœur…avoir un espace de générosité, de partage !

Quel programme ! Innover de manière frugale est ainsi selon Navi Radjou autant un choix social et philosophique qu’une opportunité économique.

En effet, sans lister toutes les dernières innovations en lien avec la pandémie actuelle, nous pouvons tout de même mentionner ce respirateur open source inventés par des chercheurs du MIT.  D’un faible coût, il pourrait être fabriqué rapidement pour quelques centaines de dollars (en lieu et place des respirateurs vendus sur le marché de la santé / valeur de 30 000 dollars/ pièce). Par ailleurs, plus près de nous, l’entreprise Decathlon a su convertir ses masques de plongée en respirateurs avec l’aide de chercheurs, de personnels hospitaliers. Ils sont utilisés pour venir en aide aux hôpitaux en Italie et en Espagne.

A une époque où les ressources se raréfient, où la contrainte environnementale s’impose et devient réglementaire, et où la compétition internationale amène tous les dirigeants d’entreprises à réfléchir aux coûts de fabrication, faire mieux avec moins n’est-il pas une évidence ?

L’innovation frugale est souvent évoquée en opposition à un modèle d’innovation industrielle occidentale, incarné par de grands laboratoires de recherche et développement.

Le manque de flexibilité, l’utilisation de processus rigides, l’inertie due à la taille des équipes et le besoin de fonds importants pour ce type d’innovation industrielle expliquent cette incompatibilité apparente avec un modèle frugal. Certains définissent ce modèle comme une forme de « système D », qui permet de booster l’agilité, de s’adapter aux ressources existantes. C’est ce qu’a fait Be-bound, constatant que 95 % de la population mondiale n’avait pas internet, mais que 95 % de la planète dispose de la 2G. Cette entreprise a développé une technologie sur la base de la 2G, qui crypte les données et les compresse. Elle permet ainsi de donner accès à Internet à 5 milliards d’habitants qui en sont dépourvus.

La crise actuelle du Covid 19 nous impose de faire autrement, plus simplement pour approvisionner les hôpitaux en masques, blouses, surblouses et appareils respiratoires…

Confinés, en manque de lien social, nous voyons naître aujourd’hui des initiatives incroyables pour développer nos relations aux autres de manière simple et authentique : des dessins collés sur les poubelles pour remercier les éboueurs de leur travail, des concerts-apéritifs aux balcons avec des voisins inconnus jusque-là,  des soirées jeux de société en visio avec les grands-parents…

L’innovation frugale, au-delà d’apporter une potentielle mutation socio-culturelle, met au grand jour des tendances d’une nouvelle économie :

  • Des entreprises dans le partage : de leurs ressources, de leurs employés, de leurs clients, de leurs brevets, attirées par une économie plus « horizontale »
  • Le client final au cœur de la chaîne de valeur : L’industrie de la consommation est déjà très impactée par les « Makers ». Les imprimantes 3D, les Fablabs et autres composants électroniques disponibles en open source, ont permis de faire chuter le coût de l’innovation rendant ces technologies accessibles au plus grand nombre. C’est l’envolée du plaisir de « Faire soi-même » !
  • Développement de la « circularité » : l’économie circulaire, ce modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable et accessible en limitant la consommation et les gaspillages de matières premières, eau et énergie ainsi que la production des déchets. C’est une vraie rupture avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter).

La sensibilité des consommateurs évolue, la préoccupation climatique est grandissante, des réflexions concernant le gaspillage des ressources naturelles voient le jour dans de nombreux domaines… et s’il était temps de faire de cette crise une vraie opportunité pour construire une économie de la frugalité ?

Pour aller plus loin:

-Innovation Jugaad. Redevons ingénieux !avril 2013

-Le Guide de l’innovation frugale: Les 6 principes clés pour faire mieux avec moins octobre 2019

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